3 questions à Catherine Larrère – Professeure émérite de philosophie, spécialiste de l’éthique de l’environnement.

3 questions à – “Le pire n’est pas certain”, c’est ce que répond Catherine Larrère à ceux qui présagent l’effondrement de notre civilisation. Professeure émérite de philosophie et spécialiste de l’éthique de l’environnement, elle met en garde contre les dangers de “l’aveuglement catastrophiste”. Pour les lecteurs de Caractères et en complément du reportage “ Vers un effondrement ou vers une transition, où va la civilisation thermo-industrielle ?”, Catherine Larrère partage son regard critique sur une collapsologie en vogue. 

Catherine et Raphaël Larrère, auteurs du livre Le pire n’est pas certain, Essai sur l’aveuglement catastrophiste.

Interview

Toutes les grandes civilisations se sont soldées par un déclin ou un effondrement. Comment ne pas céder au fatalisme devant ce constat historique ? 

C.L. – “Nous avons appris que nos civilisations sont mortelles“, disait Paul Valéry après la Première Guerre mondiale. Les civilisations sont mortelles mais ce n’est pas identique à l’effondrement. Elles ne disparaissent pas brutalement : la Chute de l’Empire romain, qui ne se résume pas uniquement au sac de Rome, s’est étalée sur des siècles. Les transitions d’une ère à l’autre sont lentes, et certaines peuvent même connaître des fins glorieuses. 

La peur de voir le monde s’écrouler est une hantise qui a traversé les âges. Aujourd’hui, comment distinguer les résultats scientifiques alarmants de la prophétie ? 

C.L. – Dans nos civilisations chrétiennes, nous sommes culturellement formés par la religion avec des épisodes comme le Jugement dernier ou comme l’Apocalypse. Face au péril écologique, une partie de la population est angoissée et sa crainte est bien réelle. Lorsqu’on entend les chiffres du changement climatique, on ressent un sentiment profond d’impuissance. L’effondrisme est une croyance non fondée qui naît de notre effroi et de notre impuissance à y apporter un remède

Il y a des points communs entre l’effondrisme et le complotisme. Dans les deux cas, ce sont des croyances non fondées qui reposent sur des récits simples. Il n’est pas suffisant de citer des résultats scientifiques pour produire un travail scientifique. Pablo Servigne, chef de file des collapsologues, le dit :  il faut de l’intuition. Or, l’intuition n’est pas scientifique, elle relève de la croyance. 

D’après les collapsologues, dans un système interconnecté une crise engendre une autre crise. L’effet domino s’arrêtera uniquement à l’effondrement de notre civilisation. Quels dangers voyez-vous à travers ce postulat ? 

C.L. – La pandémie est un phénomène systémique : c’est l’interconnexion d’un ensemble d’événements liés à des aspects sociaux, économiques, politiques ou culturels. Avec la mondialisation, les sociétés humaines se sont liées les unes aux autres de plus en plus étroitement, c’est notamment ce qui explique la diffusion rapide du virus. Le sophisme de l’effondrement pose comme thèse que plus un système est interconnecté, plus il est fragile. Or, dire qu’un système soit interconnecté ne signifie pas qu’il court à sa fin, nos systèmes sont aussi résilients. 

La théorie de l’effondrement rassure en même temps qu’elle détourne de l’action. Il n’y a pas un effondrement unique mais des catastrophes à des échelles qui restent locales. À cette échelle, un peu partout dans le monde, des luttes sont en cours. En France, Notre Dame des Landes ou le projet d’extension de l’aéroport Roissy 4, sous la pression de la société civile ont été abandonnés. Des choses restent à faire, mais elles impliquent d’être mobilisés et de réfléchir constamment.  Si le pire n’est pas certain, ça ne veut pas dire qu’il est certain que le pire n’arrivera pas. Mais il faut parler au pluriel.

Pour aller plus loin : 

  • Le pire n’est pas certain, Essai sur l’aveuglement catastrophiste, Catherine et Raphaël Larrère, Premier Parallèle.
  • Générations collapsonautes. Naviguer par temps d’effondrements, Yves Citton et Jacopo Rasmi, Le Seuil.