Hubert Artus : “Batman, Star Wars, Beatles… La pop culture est intergénérationnelle”

5 questions à Hubert Artus – Aujourd’hui, la pop culture est devenue omniprésente dans notre quotidien. D’où vient-elle? Quelle est sa particularité? Ce courant culturel n’est-il qu’un effet de mode ? La pop culture peut-elle disparaître au fil du temps? Pour répondre à ces interrogations, la rédaction de Caractères a laissé la parole au journaliste Hubert Artus, auteur du livre le Pop Corner, la grande histoire de la pop culture, de 1920 à 2020, publié aux éditions Don Quichotte. 

Que signifie le terme « pop culture » ?

Hubert Artus : “Le terme vient de l’anglais. Il s’agit de la contraction de « popular », qui signifie « ce qui vient de la rue ». Si le mot « pop » ne connaît aucun équivalent exact dans la langue de Molière, c’est qu’il dépasse ce que nous qualifions de « populaire », à savoir ce qui est apprécié par le plus grand nombre. Dans son acception anglo- saxonne, « popular » se pose comme une alternative à ce qui vient des universités, des élites, des milieux autorisés, à ce que l’on considérait comme noble. Mais le terme provient également du verbe anglais « to pop up » (« surgir »). Car la pop est un élan, un mouvement de la marge vers le centre. Être pop, c’est aussi adopter une certaine attitude, une fureur de vivre, car fun is serious, sérieusement divertissant – l’un des mantras pop depuis les années soixante.”

Quelles sont les origines de la pop culture ?

Hubert Artus : “L’histoire de la pop culture commence au lendemain de la Première Guerre mondiale dans les années 1920, grandit entre les deux guerres, puis explose véritablement dans les années cinquante et soixante, avec les baby boomers. La pop apparaît avec les  « pulps » aux États-Unis. Ces magazines de divertissement de piètre qualité publient principalement de la fiction et les thèmes abordés sont très divers, allant de la romance au récit fantastique, en passant par les enquêtes criminelles de détective et les histoires de super-héros. Surgissent ainsi Superman, Captain America, figures emblématiques de la pop culture de l’époque. Ray Bradbury, Philip K. Dick ou encore H. P. Lovecraft ont débuté leur carrière grâce à ces magazines bon marché, qui coûtaient seulement 10 cents. Avec ce prix dérisoire, l’engouement pour ces pulps a été instantané auprès de cette nouvelle génération de consommateurs d’après-guerre.”

Qu’est-ce que la pop culture concrètement ?

Hubert Artus : “C’est une boule à facettes où scintillent superhéros de bandes dessinées, personnages de cinéma, séries, jeux vidéo, héroïnes de manga, looks et musiques qui font danser la planète. La pop culture est plurielle, à la fois alternative et mainstream, commerciale et militante, conformiste et subversive. Elle est la première culture autodidacte d’importance. Une culture de masse qui a supplanté la culture de classe. Pour certains, pourtant, elle désigne un phénomène branché, donc élitiste, une affaire de bobos ou de hipsters des villes, une communauté influencée par Freud, Deleuze, mais aussi U2, Massive Attack ou Docteur Spock. “La pop culture est plurielle, à la fois alternative et mainstream, commerciale et militante, conformiste et subversive.”

“Pour d’autres, à l’inverse, le terme est presque péjoratif : il s’agirait d’une culture consumériste, destinée à un public de masse qui en a intégré les codes. Peu importe le point de vue qu’on adopte, force est de constater que le terme « pop» est devenu un élément de langage marketing. Or la pop n’a rien d’un univers ouaté, et sait être engagée. Loin de jouer le jeu du capitalisme – avec juste ce qu’il faut de cool pour faire oublier le marketing – elle a vu naître des courants artistiques, subversifs mais aussi politiques, qui devinrent des modèles intemporels (de la Beat Generation à la techno, en passant par le hardboiled, le pop art, la série télé, le rap, la Great Black Music, et bien d’autres encore). La pop culture est une culture globale – ce qu’a fort bien compris l’État islamique, qui utilise, dans sa propagande sur les réseaux sociaux, moult références issues de la culture pop, principalement les films d’horreur hollywoodiens et de série B).”

Peut-on dire que la pop culture est universelle car elle touche autant les hommes que les femmes quelque soit leur âge ?

Hubert Artus : – “Dans les années 1920-1940, la pop culture était un peu plus un univers masculinisé. Mais rapidement cela évolue. Passé le baby boom, que ce soit du côté consommateur, que du côté artistes et créateurs, les femmes ont pris une place entière dans la pop culture. La première super-héroïne, Wonder Woman, apparaît presque en même temps que Superman. Dès les années 50 et plus encore dans les années 80, des femmes emblématiques de la pop culture apparaissent que ce soit dans les groupes de rock, que dans le cinéma et les séries. Les deux figures pop incontournables actuellement restent Beyoncé et Rihanna. Deux femmes ! Donc oui, la pop culture est universelle car elle touche toutes les générations. Ceux qui ont grandi avec Tintin, Batman et les Beatles et qui ont aujourd’hui plus de 45 ans se revendiquent autant fans de pop culture que leurs petits-enfants qui regardent en boucle les Avengers et qui écoutent NTM.”

La pop culture a t-elle un avenir ou est-elle prédisposée à disparaître ? 

Hubert Artus : – “Il est peu probable qu’elle puisse un jour disparaître réellement. Ce qui la caractérise, c’est justement son caractère recyclable, d’où sa longévité. Il ne se passe pas de journée sans que l’on entende au sujet d’un album musical ou d’un film: « C’est un bijou pop ». Les super-héros comme Batman, Wonder Woman ou encore les Avengers signent depuis des décennies des blockbusters au cinéma. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Un nouveau long-métrage sur Batman est en préparation. Dans chaque domaine, la pop culture adopte la stratégie marchande de récupération. Comme « Superman » ou « Tintin », la pop ne vieillit jamais. Néanmoins je reste un tantinet pessimiste car je trouve que la pop culture n’est plus autant créatrice qu’avant. Elle se recycle sans cesse certes mais elle n’invente plus rien de neuf.”

La rédaction de Caractères remercie Hubert Artus pour cette interview!