Le droit à l’IVG est-il menacé ? Décryptage avec la députée Albane Gaillot.

Décryptage – Le droit à l’avortement et le droit de disposer librement de son corps sont intimement liés. En France, une femme sur trois a recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) au cours de sa vie. La pratique est répandue, la loi est inscrite dans le code la Santé publique depuis plus de cinquante ans, et pourtant, l’avortement reste un acte aussi tabou que controversé.

Le 8 octobre 2020, une proposition de loi est votée au Parlement pour garantir et renforcer l’accès à l’avortement. Il est prévu d’allonger le délai légal de 12 à 14 semaines pour avoir recours à une IVG et de supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG. Cette clause de 1974, à ne pas confondre avec la clause de conscience générale, est invoquée par les médecins qui refusent de pratiquer l’opération. Dorénavant, un médecin pourra toujours décliner la demande, mais il se verra dans l’obligation d’orienter les patientes vers un confrère qui pratique l’IVG. Avant sa promulgation, le texte doit d’abord être examiné par le Sénat, puis par le Comité consultatif national d’éthique.

Albane Gaillot, députée du Val de Marne, a porté et défendu cette proposition de loi jusqu’au Parlement. La rédaction de Caractères a recueilli ses propos.

Interview

Lors de votre intervention au Parlement le 8 octobre, vous avez déclaré : “le recours à l’avortement est de plus en plus difficile du fait de la fermeture des centres et des grandes disparités territoriales”. Comment les mesures défendues dans la proposition de loi peuvent-elles pallier ces inégalités et ces fragilités du système de santé ?

A.G – D’abord, rappelons que les disparités territoriales face au recours à l’IVG sont réelles et qu’elles sont exacerbées par la crise du COVID-19. En règle générale, le délai d’attente entre la demande et l’IVG est de 7,4 jours, en fonction des départements les patientes peuvent attendre jusqu’à 11 jours. Celles qui arrivent tardivement dans les centres IVG sont les plus jeunes et les plus précaires. Les adolescentes connaissent encore mal leur corps et, comme les plus précaires, elles sont mal informées des droits dont elles disposent.

Ensuite, la résistance éthique de certains médecins est l’une des raisons qui entraînent la fermeture des centres d’IVG. Pour certains gynécologues le refus est invariable, pour d’autres, il survient entre la 10ème et la 12ème semaine lors des opérations dites « tardives ». La suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG est symbolique, mais elle limiterait la stigmatisation de cet acte médical.

Pour contrer les disparités territoriales, nous proposons également d’autoriser les sages-femmes à pratiquer l’IVG instrumentale jusqu’à dix semaines. En étant régulièrement en contact avec leurs représentants, je témoigne de l’entrain qui les anime à s’investir dans toutes les étapes de la santé des femmes. Et enfin, par voie d’amendement, il a été évoqué de créer un répertoire des praticiens qui pratiquent l’IVG. Sans perte de temps et dès le premier rendez-vous, les femmes pourront s’adresser au bon interlocuteur.

L’allongement du délai légal pour une l’IVG de 12 à 14 semaines a soulevé des contestations éthiques et scientifiques. Des gynécologues, bien que pro-IVG, alertent des dangers médicaux que comporte une opération à la 14ème semaine de grossesse. Comment justifiez-vous l’allongement du délai auprès du corps médical soucieux de la santé des femmes ?

A.G – Les craintes supposées, si nous les comprenons, reposent très souvent sur deux arguments : la pratique d’un geste technique qui serait différent et la multiplication des risques pour la femme lors de l’opération. Peu importe la semaine, le geste technique, celui de l’aspiration du fœtus, reste identique. Ce qui diffère en revanche, c’est la taille du matériel utilisé. Avec deux semaines de plus, le fœtus est plus gros, la canule sera donc adaptée à la taille du fœtus. Pour répondre à la seconde crainte, selon des études françaises et internationales, les risques à la 14ème semaine ne sont pas plus conséquents que ceux d’une opération à la 12ème semaine.

Le véritable sujet derrière ces arguments, c’est celui de la formation des gynécologues à l’IVG instrumentale. L’avortement pâtit de son déficit d’image quand, à l’inverse, l’accouchement est un acte valorisé dans le domaine médical. L’opération doit être désacralisée et repensée comme un acte de soin de santé parmi les autres. C’est à partir de ce changement que la formation aux gestes et à la technique de l’IVG sera valorisée auprès des gynécologues. En attendant, chaque année ce sont entre 3 000 et 5 000 françaises qui sont forcées de se rendre à l’étranger pour avorter une fois le délai légal dépassé en France.

À l’exception des symptômes de la COVID-19, les déplacements vers les centres de santé étaient limités ces derniers mois. L’accès à l’IVG est-il restreint et quelles sont les mesures à prendre pour le garantir ?

A.G – La pratique de l’IVG médicamenteuse a été allongée de 5 à 7 semaines et des téléconsultations ont été proposées pour les rendez-vous obligatoires avant l’opération. Malgré ces mesures, les inégalités présentes en tout temps sont devenues flagrantes lors du confinement. Imaginons la difficulté pour une jeune femme : elle vit chez ses parents, elle doit se déplacer à trois reprises et dans le plus grand secret vers un centre d’IVG, elle doit obtenir une attestation pour s’y rendre car il est situé à plus d’un kilomètre de chez elle. La situation est ubuesque.

Pendant la période du premier confinement, le planning familial a enregistré une hausse des appels pour les demandes d’interruptions au-delà de la 12ème semaine. D’après leurs témoignages, les appels débutent fréquemment par « excusez-moi » ou par « je ne veux pas déranger dans cette période ». En minimisant leur urgence personnelle face à l’urgence sanitaire en cours, des femmes portaient le poids d’une double culpabilité.

Depuis le 4 novembre, la pression des manifestations en Pologne a eu raison du Tribunal Constitutionnel qui prévoyait de rendre le droit à l’IVG quasiment inexistant. L’unité européenne est-elle envisageable quand de tels écarts sur le droit des femmes séparent un pays de l’autre ? L’Europe doit-elle se porter garante de ces droits ?

A.G – En Pologne le recours à l’IVG est extrêmement limité, à Malte il est même interdit alors qu’il est autorisé jusqu’à 22 semaines au Pays-Bas. Certains évoquent une législation européenne du droit à l’avortement. À mon sens, elle risque d’être clivante et de donner de la matière aux opposants à l’IVG et à l’Union européenne.

On critique souvent l’Europe d’être trop frileuse, ici elle pourrait utiliser une résolution européenne en faveur des droits humains, c’est d’ailleurs la vocation du Conseil de l’Europe. En rappelant l’engagement collectif pour les droits humains, donc pour celui des Femmes et pour celui de l’avortement, une résolution européenne serait un geste fort. Sans apporter de contrainte légale, elle engagerait chaque Etat à s’inscrire dans une démarche progressiste.