L’ENA, c’est fini : mal français ou bouc émissaire idéal ?

Actualités – C’était une promesse d’Emmanuel Macron, et c’est désormais officiel. L’ENA, école nationale d’administration, va disparaître au 1er janvier 2022. Une ordonnance a été présentée en Conseil des ministres mercredi dernier par Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques. Qu’est-ce que l’ENA, pourquoi est-elle supprimée et par quoi va-t-elle être remplacée ? On vous explique tout. 

Retrouvez notre vidéo à la fin de l’article.

ENA
© KESSLER VINCENT/SIPA

Qu’est-ce que l’ENA ? 

L’ENA, c’est l’École Nationale d’Administration. Créée en 1945 par Charles de Gaulle, elle a formé la plupart des hauts responsables politiques. Elle fournit les grandes administrations étatiques comme la Cour des comptes, le Conseil d’Etat ou encore l’Inspection générale des Finances. 

D’abord située à Paris, elle s’installe à Strasbourg en 1991, et accueille chaque année une centaine d’étudiants, qui, lorsqu’ils obtiennent leur diplôme, sont appelés des “énarques“.

Elle propose une formation initiale, ainsi que des masters et mastères spécialisés. Mais également des sessions de formation continue pour les hauts-fonctionnaires français et étrangers. Mais, depuis quelques dizaines d’années, la prestigieuse école est contestée. En 2005, Vincent Peillon, alors élu socialiste, proposait déjà sa suppression. 

« Je pense qu’on y aurait intérêt, parce que, ce à quoi nous avons assisté ces 20 dernières années, c’est une centaine de personnes par an, peut-être un peu plus parfois, qui colonisent non seulement la fonction publique mais la représentation politique et les grandes entreprises, ça n’existe dans aucun autre pays. »

Vincent Peillon

Pourquoi la supprimer ?

Le principal problème de l’ENA, c’est l’accession. Sur les 82 élèves de la promotion 2019-2020, un seul était fils d’ouvrier. Les enfants d’agriculteurs, d’artisans ou encore d’employés ne représentaient que 15 % des effectifs de chaque promotion. À l’inverse, 72 % des anciens élèves étaient des enfants de cadre.

Des chiffres qui montrent clairement que l’ENA est réservée à une certaine élite sociale. D’après la ministre Amélie de Montchalin, l’objectif de sa suppression est de créer “un corps unique des administrateurs de l’Etat”.

« Cette réforme, c’est d’abord une réforme de l’Etat. L’Etat a tenu pendant cette crise, et les hommes et les femmes qui le tienne ont mis beaucoup de leur personne et de leur engagement. Mais on doit aussi regarder en face, nos faiblesses, qui parfois remontent à loin, et des faiblesses que cette crise a rendu encore plus visibles. »

Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques

Une nouvelle école plus inclusive ? 

L’ENA sera donc remplacée par une nouvelle école : l’Institut national de service public. Le but est d’attirer davantage de profils variés, issus par exemple des universités françaises. 

L’établissement proposera un tronc commun d’apprentissage avec 14 écoles du service public, y compris les corps techniques. Un programme axé sur cinq grandes thématiques : valeurs de la République, transition écologique, numérique, pauvreté, et rapport à la science. 

A la fin de leur cursus, les futurs cadres de l’Etat ne pourront plus intégrer les grands corps de métier comme le Conseil d’Etat ou la Cour des comptes, mais passeront par un nouveau corps d’administrateurs. 

Et pour favoriser la diversité, 74 classes préparatoires permettront à plus de 1 000 élèves boursiers et méritants de préparer les concours, pour accéder aux postes d’encadrement.

Les « énarques » sont-ils d’accord ? 

Lorsque Emmanuel Macron avait annoncé ce projet de suppression, les énarques avaient fait part de leur mécontentement. Récemment, l’association des anciens élèves de l’Ena a exprimé sa « colère » et sa « tristesse ». De leur côté, les jeunes énarques ont estimé que l’ENA payait « un délit de sale gueule ». 

Des diplomates, inspecteurs et magistrats ont également qualifié cette réforme de « danger pour nos institutions », avec le risque de voir leur indépendance, neutralité et impartialité livrées « au fait du prince ».

Les grandes écoles politiques sont depuis quelques temps au cœur des débats. Après la réforme de sur la nouvelle procédure d’admission à Sciences-Po, visant à démocratiser davantage l’accès à l’institution, c’est au tour de l’ENA de se réinventer afin d’être plus inclusive. Mais ce changement ouvrira-t-il réellement la voie aux classes modestes ?