Renaud Czarnes : le Storytelling, l’histoire d’une “Success Story” ?

5 questions à Renaud Czarnes – Comment le storytelling s’est installé dans la sphère politique? Pourquoi les hommes politiques en raffolent et l’utilisent régulièrement ? Pour répondre à ces interrogations, la rédaction de Caractères a laissé la parole à Renaud Czarnes. Directeur de la communication de Dalkia et maître de conférence à SciencesPo de Paris, il est également l’auteur du livre Anti-manuel de communication politique, publié aux éditions Kawa.  

De quelle manière le storytelling sert-il la politique ?

Renaud Czarnes :Le storytelling, qui signifie en français l’art de raconter des histoires, est censé servir la politique comme tout le reste. Ce serait presque la panacée ! En réalité, le storytelling est un mythe. Ce qui existe, en revanche, c’est la reconstruction, a posteriori donc, d’une « success story ». Par exemple, le parcours de Barack Obama, qui devient, du coup, un exemple de storytelling. Finalement, il s’agit d’un mot-valise qui encapsule des faits, du marketing, de la communication, en utilisant toutes les techniques narratives, toutes les images et les mises en scène possibles. Tout cela pour essayer de répondre à cette question : quelle histoire puis-je vendre aux journalistes, aux spectateurs, au public, aux électeurs ? Boris Vian disait : « cette histoire existe puisque je l’ai inventée ». Il faut embarquer un public dans une histoire qui a l’air plus vraie que vraie.”

Quelles sont les causes profondes de ce retour au récit en politique qui caractérisent plutôt les sociétés traditionnelles, le marketing, la publicité ?

Renaud Czarnes : “Il me semble que l’une des raisons principales du retour au récit est le désenchantement. Trop de promesses non tenues, trop de mensonges, trop de tout, sauf, peut-être, de ce qu’il faudrait : de la sincérité, de l’authenticité, de l’engagement, de l’empathie… Parallèlement au désenchantement demeure intact le besoin de croire. Comme on se raccroche aux branches, en quelque sorte. Alors, puisque les gens veulent croire, on leur raconte des histoires. Revoilà le storytelling ! Mais on ne construit rien (pas même une belle histoire), sur du sable. L’effet peut-être dévastateur.”

La rhétorique de la rupture et du changement a souvent été utilisée ces dernières années en politique, est-ce selon vous une bonne approche ?

Renaud Czarnes : ”Je ne sais pas si le changement c’est maintenant, demain ou après-demain. Je ne peux que constater, comme tout un chacun, que, puisque les vieilles recettes ont échoué, il faut en appliquer (ou en inventer) de nouvelles. Ce que je sais, c’est que l’on n’a pas tout essayé.”

Que devient la communication en général, dans cette décrédibilisation de la fonction publique ?

Renaud Czarnes :Les communicants ont un grand rôle à jouer, pourvu qu’ils soient sincères, authentiques, engagés et empathiques. Plusieurs décennies de « bullshit corporate », cette communication hors-sol, décorrélée de la réalité de l’entreprise comme de celle vécue par les salariés et de la perception du public, tout cela a décrédibilisé hélas la fonction de communicant. Répéter à l’envi un mensonge n’en fera jamais une vérité. La communication retrouve depuis peu ce qu’elle n’aurait jamais dû perdre de vue : la primauté des faits, le contenu. Même si « communiquer, c’est informer avec une intention », il faut se rapprocher de l’information, s’inspirer des journalistes par exemple.”  

Le « off » est-il en train de devenir un vrai mode de communication ?

Renaud Czarnes : ”Le « off » a toujours existé, notamment dans la politique. Certains y voient une nuisance, puisque le « off », qui est censé garantir l’anonymat de la personne qui s’exprime, laisse la porte grande ouverte à des flots d’informations et de propos non sourcés. Mais on peut y voir aussi un côté positif quand cela permet de diffuser des informations beaucoup plus pertinentes. Comme on dit, « un bon « off » vaut mieux qu’un mauvais « on » !”

La rédaction de Caractères remercie Renaud Czarnes pour cette interview!