International – En Turquie, 474 féminicides sont signalés en 2019. Et pourtant, le 20 mars au réveil, on apprenait la décision du Président Erdoğan : la Turquie se retire de la Convention d’Istanbul. C’est un coup dur pour les droits des femmes mais une victoire pour les conservateurs. Bien plus complexe qu’il n’y paraît, sous cette décision arbitraire se cachent des calculs politiques et des messages diplomatiques.
Caractères a décidé de plonger dans le vif de ce sujet. Quelles sont les forces qui ont poussé le Président Erdoğan à franchir ce cap ? Que gagne-t-il au détriment des droits des femmes ?
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Dans une Turquie au multiples visages, celui de Recep Tayyip Erdoğan, nationaliste et islamo-conservateur, s’est imposé sur presque deux décennies. Connu pour ses prises de décisions radicales mais assumées, il s’est progressivement esseulé sur la scène internationale. Le 19 mars 2012, il franchit un pas de plus vers l’isolement. Par un décret présidentiel, l’autocrate signe le retrait de son pays de la Convention d’Istanbul.
Une convention paneuropéenne contre les violences sexistes
Chapeautée par le Conseil de l’Europe, la Convention d’Istanbul est d’abord un outil pour lutter contre les violences faites à l’encontre des femmes. Il est reconnu comme le tout premier traité international qui établit des normes contraignantes pour limiter les violences sexistes.
En d’autre termes, après la signature et la ratification par les parlements nationaux, les pays signataires sont obligés d’adopter de nouvelles mesures. Régulièrement, des experts sont envoyés sur place afin de vérifier la bonne application de la convention.
En bon élève, le Parlement turc a été le tout premier à ratifier la convention par un vote unanime. Pourtant, le texte est resté lettre morte avant de devenir le bouc émissaire des conservateurs d’Ankara.
La voix des femmes contre celle du Président Erdogan ?
Loin d’être idéale, la condition des femmes en Turquie se détériore. En 2019, 474 féminicides sont signalés, soit 70 de plus qu’en 2018.
Alors quand le Président annonce sa décision, des associations tirent la sonnette d’alarme. Le 20 mars et le 27 mars, à Ankara ou à Istanbul, plusieurs milliers de personnes manifestent en scandant dans les rues :
« La Convention d’Istanbul sauve des vies. »
« Nous n’acceptons pas la décision d’un seul homme. »
Un pied de nez à l’Europe ?
Les ténors de l’AKP, le parti du président Erdogan, accusent la convention d’être instrumentalisée par la communauté LGBT et d’être incompatible avec les valeurs familiales de la Turquie. Ils encouragent leur leader à poursuivre la désoccidentalisation de la société et demandent ardemment le retrait du pays du traité.
Face aux difficultés économiques en 2019 et dans une tentative de rallier son électorat conservateurs, Erdogan avait déjà évoqué l’abandon du traité. Flatter ses électeurs sur le sort des femmes était-il un calcul politique judicieux ?
Sur le plan diplomatique, la symbolique est forte. La convention d’Istanbul est le vestige d’une époque où la Turquie défendait sa candidature auprès de l’Union européenne. Hier, le pays devait montrer patte blanche. Aujourd’hui, l’autocrate flatte le nationalisme en rejetant un traité international.
« Il n’est pas nécessaire de chercher le remède en dehors de chez nous, d’imiter les autres. La solution est dans nos traditions et nos coutumes, dans notre essence. »
Son annonce intervient à quelques jours seulement d’une réunion du Conseil européen. Celle-ci devait réévaluer les relations entre l’Europe et la Turquie.
Les dirigeants européens, dont la France, désapprouvent la décision du Président turc mais des dossiers éminemment stratégiques en Méditerranée orientale les poussent à entretenir un dialogue.