Le manga en France : bientôt trente ans d’histoire. Retour sur son évolution avec Satoko Inaba, Directrice éditoriale manga chez Glénat.

Article – La rédaction de Caractères a reçu Brigitte Lecordier, voix française des personnages de Son Goku, Son Gohan et Son Goten, héros emblématiques de la série “Dragon Ball“. Les générations bercées par le Club Dorothée ont d’abord rencontré ces personnages sur le petit écran avant de pouvoir les lire. Depuis la vente du premier tome en 1993, l’œuvre du mangaka Akira Toriyama ne se démode pas. 

Le manga, néologisme d’Hokusai pour ses esquisses rapides et ses dessins dérisoires, s’est pleinement fondu dans le paysage culturel français. Pourtant, lors de son arrivée, il fut accueilli avec méfiance et scepticisme. L’intensité des combats, parfois rencontrée dans les shônens et seinens, alimenta l’incompréhension autour du manga. Pendant ce temps, les lecteurs étaient aspirés par les récits où les quêtes d’accomplissement, les épopées entre acolytes et la complexité des personnages formaient un tout captivant.

La recette fonctionne toujours : 30 ans après le premier manga édité, la France côtoie le Japon sur le palmarès des ventes. Depuis 2016, elle se classe en deuxième position propulsée par la vente des seinens et shônens cultes comme “Dragon Ball“, “One Piece” (Eiichiro Oda, 2000), “Fullmetal Alchemist” (Hiromu Arakawa, 2001) et “Naruto” (Masashi Kishimoto, 2002).

Fidèles à leurs héros fétiches et avec 19 millions d’exemplaires achetés en 2019, les ventes des mangas connaissent une hausse de 50 % depuis 5 ans. Alors que les ventes des livres oscillent peu d’année en année, celles des mangas, souvent englobées dans la catégorie des BD, connaissent des envolées. Le ministère de la Culture a suivi cette vague en désignant l’année 2020 comme celle de la Bande-Dessinée.

Pionnière dans l’histoire du manga en France, la maison d’édition Glénat ouvre le marché en important du Japon “Akira” de Katsuhiro Otomo en 1990. Confiante, elle surenchérit en 1993 en éditant le premier tome de “Dragon Ball”. Satoko Inaba, Directrice éditoriale manga chez Glénat, livre à Caractères les dernières évolutions.

Interview

À première vue, la littérature japonaise et le format du manga sont éloignés des récits traditionnellement lus en FranceEntre la publication au Japon et celle en France, procède-t-on à des transformations ? 

S.I. – Lorsque les premiers mangas sont arrivés en France, ils ont été adaptés aux standards de la BD franco-belge. Une fois le sens de lecture inversé, le format agrandi et les dessins colorisés, les mangas étaient accessibles aux lecteurs français. Sur les premiers titres comme celui d’”Akira”, on retrouve des couvertures cartonnées et des colorisations qui n’étaient pas dans l’art des auteurs. 

Avec les débuts de “Dragon Ball”, le chemin inverse est parcouru en réinstaurant le noir et le blanc, en proposant un petit format, et en rétablissant le sens de lecture initial. Le public adolescent a intégré ces codes et actuellement, la plupart des titres sortent à l’identique d’un pays à l’autre. Pour ne pas perturber l’apprentissage de la lecture, les mangas destinés aux enfants font office d’exception en adoptant le sens classique des livres.

Au Japon, on parle d’une industrie du manga, de mangakas prolifiques et de multiples sous-genres. En France, les meilleures ventes demeurent celles des grands classiques shônens comme “Dragon Ball”, “One Piece” ou encore “Naruto”. Comment expliquer la longévité de ces succès ? Ont-ils favorisé ou bridé le développement des autres catégories ? 

S.I. – Par son côté sensible et évolutif, le manga shônen séduit les adolescents. La grande proximité entre les lecteurs et les héros à travers l’adolescence explique l’engouement pour ces séries. Là où la bande-dessinée pouvait être divisée entre la BD pour les enfants et celle pour les adultes, le manga apporte aux adolescents ce qu’ils n’ont pas pu trouver ailleurs. 

Malheureusement, dès ses débuts une incompréhension s’est formée. Les dessins animés pour adolescents inspirés des mangas étaient diffusés dans des émissions destinées aux enfants. C’est le décalage entre ces deux publics qui a favorisé la critique réductrice d’une prétendue violence. À l’image du cinéma qui est fait d’une grande diversité de catégories, le manga possède aussi son éventail de sous-genres. 

Maintenant, les toutes premières générations de lecteurs transmettent à leurs enfants le goût des mangas. Avec ce phénomène, on constate depuis une dizaine d’années une diversification du public et des genres sur le marché. Les amateurs de vin peuvent lire “Les gouttes de Dieu”, quand les plus jeunes feuillettent “Chi, une vie de chat”. Que l’on soit féru d’histoire médiévale ou de science-fiction, de boys love (Yaoi) ou de girls love (Yuri), tout le monde peut trouver son manga. 

Le public masculin s’oriente facilement vers les shônens et seinens quand les shôjos semblent être réservés aux filles. Comment expliquez-vous ce cloisonnement ? 

S.I. – Au Japon, les mangas sont présentés dans des magazines de prépublication et chaque magazine cible un public précis. Par exemple, les shôjos se lisent essentiellement dans des magazines féminins. Sans ce système, le public est libre d’acheter l’œuvre uniquement pour ce qu’elle est, le cloisonnement par genre est donc moins visible en France.

D’un pays à l’autre, les jeunes filles ne s’interdisent pas les mangas shônens ou seinens alors que, poussés par une certaine honte, les garçons cultivent une aversion pour les shôjos. Lorsque des choix d’édition se présentent, on veille à adopter des titres moins stéréotypés et on essaie progressivement de dépasser la vision du shôjo romantique à l’eau de rose. 

Les mangas occupent une place de plus en plus importante sur le marché des biens culturels français. Quelles sont les tendances pour l’année 2020 ? Les confinements favorisent-ils la vente des mangas ?

S.I. – En termes de ventes, l’année 2020 s’annonçait très belle. Le confinement a largement ralenti la dynamique, mais il a surtout chamboulé les sorties et les événements autour du lancement des nouveautés. 

L’avantage du confinement était celui d’offrir du temps pour se consacrer aux séries les plus longues. Avec plus de 90 volumes, “One piece” a connu un retour en force. Au déconfinement, la reprise du marché était considérable avec un intérêt double : celui des nouveaux lecteurs des séries classiques et celui d’un public fidèle toujours au rendez-vous. 

Comme les mangas, les confinements invitent à s’évader par l’imagination et la lecture. Quelle œuvre peut-on recommander à ceux qui souhaiteraient s’initier au manga ?  

S.I. – “Jizo”, scénarisé par le français Mr Tan et dessiné par la japonaise Mato, est idéal pour une entrée en matière. Dans une ambiance teintée du folklore japonais, cette histoire aussi triste que touchante, vous transporte dans les aventures d’Aki et Jizo.

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