Plus d’entreprises privées pour plus de sécurité ? Un retour en dates

Article – En 1995, l’État réclamait une sécurité « générale », en 2020, elle se veut maintenant « globale ». Derrière ces dénominations, la volonté de renforcer la sécurité par l’ensemble des moyens et des forces à disposition est constante. Prendre du recul sur l’évolution des lois met en relief deux tendances : un renforcement continu de la sécurité sur l’espace public et une délégation grandissante des missions au secteur privé. 

1983 Loi réglementant les activités privées de sécurité

Le besoin de cadres pour réglementer les activités privées de sécurité devient criant lorsque des faits marquants de l’actualité incriminent des agents privés. Jusqu’alors, les agents de sécurité aux services des entreprises étaient accusés d’agir comme des « milices patronales ». Lors du débat parlementaire, le Député François Massot déclara :

« Il y a eu, de la part de certaines de ces entreprises de gardiennage et de surveillance, ce que l’on a appelé des bavures […], la mort d’un clochard assassiné par un vigile employé par une société de gardiennage, et ce que l’on a appelé le « coup de camemberts », opéré par un commando à l’intérieur de l’entreprise des Camemberts d’Isigny, où 131 personnes avaient été séquestrées pendant vingt-quatre heures, pour briser une grève. Devant de telles bavures, il est apparu indispensable de réglementer ces activités »

Au même moment, la SNCF et la RATP sont autorisées à se munir de leur propre service de sécurité avec la mission d’assurer la sûreté des personnes et des biens.

2001  Loi relative à la sécurité quotidienne 

Les agents privés surveillent les halls des aéroports depuis 1989. La sécurité des aérodromes et du transport aérien leur était confiée, mais toujours avec le contrôle d’agents publics. Les attentats du World Trade Center ont définitivement rangé les aéroports comme des corridors internationaux à haut risque terroriste. Deux mois après l’attaque, la loi relative à la sécurité quotidienne permet d’augmenter la vigilance autour des lieux de circulation. Pour rendre cette mesure effective, l’inspection des passagers, palpation comprise, des bagages et de leurs fouilles, est confiée aux sociétés privées.

2011 LOPPSI, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

Quand le décor urbain devient moucheté de caméras de surveillance, la loi LOPPSI 2 marque un changement de vocabulaire :  la vidéosurveillance devient de la vidéoprotection. Le projet de loi prévoyait de donner un accès aux agents privés, douanes et services d’incendie, à l’exploitation et au visionnage des vidéos. Mais la CNIL soulève le risque d’une sous-traitance à l’extérieur des frontières, et de fait, une atteinte à la sécurité nationale. Le Conseil constitutionnel, pour qui ces entreprises « sont associées aux missions de l’État en matière de sécurité publique », censure la disposition. En parallèle, le Conseil national des activités privées de sécurité est créé avec une mission de contrôle du secteur.

2016  Loi Savary sur la prévention et la lutte contre les incivilités, les atteintes à la sécurité publique et les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.

Un an après la série d’attentats de 2015, la France est toujours sous l’état d’urgence et les soldats de l’opération Sentinelle parcourent sans relâche le territoire. En août 2015, l’attentat terroriste déjoué du train Thalys, d’Amsterdam à Paris, enclenche un renforcement de l’arsenal sécuritaire dans les transports collectifs.  

La loi Savary répond au péril des menaces terroristes en sollicitant tous les agents de sûreté. Plus de prérogatives sont confiées au GPSR, service de sécurité de la RATP, et au SUGE, service de sécurité de la SNCF. Équipés de caméras-piétons, armés, en uniforme ou en civil et c’est ici la nouveauté, ces agents peuvent fouiller, palper et interdire l’accès aux transports. 

2017 Loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme

L’état d’urgence est devenu la norme avec des mesures exceptionnelles qui sont entrées dans le droit commun. Avec la nouvelle loi de sécurité intérieure, le personnel privé, sous l’autorité d’un représentant de police, est autorisé à opérer aux abords d’un périmètre de protection, y compris sur la voie publique. Plus marquant, ils peuvent désormais être armés lors de missions de surveillance ou de protection des personnes.

2018  « D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale », rapport de mission parlementaire.

Dans le rapport remis par Jean-Michel Fauvergue, il est dit que « l’augmentation de la demande sociale de sécurité dépasse désormais les moyens que les administrations publiques y consacrent ». Dans ce contexte, le secteur de la sécurité se développe comme un marché économique malgré les failles relevées par la Cour des comptes. Elle dénonce une « régulation lacunaire » avec un manque de « contrôle sur la moralité et l’aptitude professionnelle » et demande plus d’enquêtes de moralité sur le personnel.

2020 Loi de Sécurité globale

Sur fond de crise des Gilets jaunes et des déboires du maintien de l’ordre, la loi de Sécurité globale agrandit le champ d’action des forces privées. Une grande partie des articles renforce le contrôle de la moralité lors du recrutement. Une fois cette étape passée, ils sont désormais habilités à dresser des procès-verbaux, à réaliser des contrôles d’identité et à relever l’adresse d’un auteur suspecté d’infraction. Si la personne refuse, l’agent peut soit l’amener devant un représentant de la police ou de la gendarmerie, ou bien, le « retenir pendant le temps nécessaire » jusqu’à l’arrivée de ces forces publiques.