TCHAD : les dessous d’une transition politique controversée

International  Le 20 avril 2021 fera date dans l’histoire du Tchad. Après trente ans au pouvoir, le président Idriss Deby périt sur le front face au groupe rebelle du FACT. Son fils, Mahamat Idriss Déby, reprend le flambeau en se plaçant à la tête du Conseil militaire de Transition. Une transition bancale à N’Djamena que certains voient comme un coup d’État institutionnel. Entre la lutte anti-terroriste et ses relations avec la France, Caractères vous explique les événements au Tchad dans le dernier épisode de Focus International.

Retrouvez notre vidéo à la fin de l’article.

Tchad
© Ludovic MARIN / AFP

Le 20 avril 2020 restera une date clé dans l’histoire du Tchad. Après avoir dirigé le pays pendant trente ans, le Président Idriss Deby tombe face aux groupes rebelles qu’il combattait dans la région de Kanem. En prenant la tête du Conseil militaire de transition, son fils, Mahamat Idriss Déby assure la relève tout en s’attirant les foudres de l’opposition, ils dénoncent un coup d’État institutionnel plus qu’une transition démocratique. Lorsqu’une crise frappe à N’Djamena, les voyants sont au rouge à Paris. La France s’apprête-t-elle à jouer un rôle dans la transition politique au Tchad ? 

Au cœur du continent africain, le Tchad, c’est cette immense étendue désertique, notamment entourée de la Libye, du Soudan et de la République Centrafricaine. En quelques semaines à peine, les tchadiennes ont connu la réélection puis la disparition d’un président, l’attaque d’un groupe rebelle, et une prise de pouvoir par une junte militaire. Avec des armes ou avec des urnes, le Tchad serait-il au début d’une nouvelle page de son histoire ?  

La famille Déby : un règne incontesté ?

L’origine de l’ère Déby prend ses racines en 1990 lorsque le jeune colonel Idriss Déby, tout juste diplômé de l’Ecole de Guerre de Paris, prend la tête du du pays. Il est l’auteur du renversement du dictateur Hissène Habré alors à la tête du pays. Une fois en place, le Président Déby a conservé la même tactique pendant trois décennies, à savoir, utiliser les enjeux de sécurité pour remporter à la fois le soutien des tchadiens et également celui des puissances internationales.

Allant de réélection en réélection, il cumule six mandats différents. La dernière en date, le 11 avril 2021, quelques jours avant sa chute, les festivités sont interrompues par une attaque de groupe de rebelles. Bien connu du pouvoir, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) lance une offensive au lendemain des élections. Pendant plusieurs semaines, les combats entre l’armée et les rebelles se poursuivent dans la région de Kanem.

Le vide soudain qu’il laisse derrière lui est comblé en quelques heures. Le lendemain, son fils Mahamat Idriss Déby,  cet officier familier des forces françaises, prend la tête du Conseil militaire de Transition puis nomme un gouvernement provisoire le 3 mai. 

Lors de son discours, il formule deux promesses aux tchadiennes. La première, c’est de venir à bout du FACT. La seconde est loin de faire l’unanimité, il promet d’organiser des élections dans les dix-huit mois à venir. Pourtant, la constitution prévoit des élections dans un délai de trois mois et ne prévoit pas de léguer le statut de président de père en fils. 

Dès le 27 avril,  des manifestations surviennent pour dénoncer ce coup de force. Elles sont immédiatement réprimées et la Convention tchadienne de défense des droits de l’Homme, une ONG locale, rapporte le décès de neuf manifestants. 

Du père au fils : l’héritage des menaces 

L’image d’un Tchad semblable à un îlot de stabilité paraît loin. La région du Lac Tchad s’est transformée depuis 2015 en un sanctuaire et une base arrière pour Boko Haram. Le groupe terroriste est né au Nigéria depuis lequel il lance des incursions dans toute la région.  

En reprenant la route vers le nord en direction de la Libye, le massif du Tibesti fait office de refuge pour les groupes rebelles tchadiens. C’est  à partir de ce repère que le FACT fomentait ses attaques vers la capitale ou vers la région désertique du Kanem. 

En prenant du recul sur le pays, l’extension des groupes djihadistes au Sahel reste une des priorités régionales pour le Tchad comme pour le Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, tous membres du G5 Sahel. 

Tchad – France : la stabilité quoi qu’il en coûte ?

Si N’Djamena et Paris sont aujourd’hui deux alliés au Sahel, la relation entre les deux capitales ne date pas d’hier. Ancienne colonie française jusqu’en 1960, l’armée tricolore foule de nouveau le sol tchadien en 1986 avec l’opération épervier. Elle est remplacée en 2014 par l’opération Barkhane qui s’étend sur toute la région.

Le sujet du Tchad, ce n’est pas uniquement le sujet Tchad, c’est aussi globalement la sécurité du Sahel et c’est aussi la sécurité de l’Europe, puisque le Tchad, c’est un peu la frontière sud de l’Europe.” 
Jean-Yves le Drian, 22 avril 2020, France 2.

Le pays est vu comme un rempart face à l’expansion islamiste. Ce rôle clé expliquerait la coopération militaire et la certaine bienveillance des autorités françaises face aux dirigeants tchadiens. En échange, Paris a prêté main forte aux autorités tchadiennes à plusieurs reprises en 2006, 2008 et 2019 face à la progression du FACT. 

Alors, lorsque le Président Macron se déplace aux funérailles et salue son fils, Mahamat Idriss Deby, il fait l’objet de plusieurs critiques. Au premier regard, ce soutien à un jeune général accusé de coup d’Etat institutionnel, alimente une vision uniquement militaire et stratégique du Tchad. Lors des manifestations qui sont survenues quelques jours après les obsèques, des drapeaux français ont été piétinés et Paris était pointée du doigt pour son ingérence dans les affaires tchadiennes. A l’autre bout du spectre, certains voudraient faire de la France le garant d’une transition démocratique.

La France ne laissera jamais personne ne remettre en cause, et ne laissera jamais personne menacer la stabilité et l’intégrité du Tchad”.  
Emmanuel Macron, 23 avril 2021, Place de la nation à N’Djamena.

Certains tchadiens voient dans la France un garant de la démocratie, mais ce rôle serait-il accepté par Mahamat Idriss Déby ?